Varda Kotler - Ben Haim
II/ De Munich à Tel Aviv
Après avoir terminé ses études, Paul Frankenburger entreprit une brillante carrière tout d'abord comme assistant de Bruno Walter à Munich, puis comme Maître de Chapelle à l'opéra d'Augsburg où il dirigea la production de plus de 40 opéras, dont certains en première mondiale, Il se tourna vers la composition de musique de chambre, d'oeuvres pour choeurs et orchestres; cependant il ne renonça jamais à sa passion pour le Lied. En 1931, il avait composé plus de 80 Lieder. Avec l'avènement du régime nazi, Frankenburger perdit son emploi à L'opéra d'Augsburg et décida immédiatement de quitter l'Allemagne lorsqu'Hitler prit le pouvoir en février 1933. Après une visite de reconnaissance en Palestine en été 1933, il s'installa définitivement à Tel-Aviv en octobre de la même année., hébraïsant son nom en Ben Haim ("fils d'Henrich"). Le traumatisme causé par son exclusion du patrimoine culturel qu'il chérissait, l'incita à rejeter les oeuvres qu'il avait composées en Allemagne dont quelques-unes seulement furent interprétées dans sa nouvelle patrie. Ses lieder allemands ne furent chantés qu'à la fin de sa vie, lorsque le Professeur Jehoash Hirshberg qui travaillait sur une biographie de Ben Haim les découvrit dans une armoire poussiéreuse du domicile de l'auteur,à Tel-Aviv. C'est alors que le compositeur âgé et souffrant accepta de léguer toutes ses oeuvres et ses documents à la Bibliothèque nationale et universitaire de Jérusalem.

III/ Le Lied hébraïque
Tel-Aviv en 1933 était le centre culturel juif le plus important de la Palestine sous mandat britannique. Le début d'une importante vague d'immigration d'Europe centrale stimula soudainement et fortement la vie musicale. C'est ainsi que naquirent un orchestre de Palestine (qui devint le Israel Philarmonic Orchestra (l'Orchestre Philharmonique d'Israël), une station de radio qui avait son propre petit orchestre et deux excellentes académies de musique. Les compositeurs immigrés faisaient preuve d'individualisme, ne se réclamaient d'aucune école de composition et ne reconnaissaient aucune autorité musicale. Cependant, ils partageaient tous le même engagement qu'il ait été intérieurement ressenti ou extérieurement imposé-la recherche d'un nouveau style juif à caractère oriental. Ils conservaient aussi un attachement à leurs racines européennes, essayant d'établir un équilibre entre leur vision de l'Orient et leur patrimoine occidental. Ceci s'illustre particulièrement dans la synthèse complexe que Ben Haim s'efforçait de réaliser. Il ne fit jamais de déclaration à caractère idéologique et c'est à travers sa musique qui subit un profond changement, qu'il exprimait ses réactions à son nouvel environnement. Etabli à Tel-Aviv, Ben-Haim prit des leçons d'hébreu quotidiennes, mettant particulièrement l'accent sur l'hébreu biblique et sur la poésie hébraïque moderne. Ayant surmonté de graves difficultés économiques, il reprit la composition, créant un genre nouveau: le Lied hébraïque.

4 Ani Havatselet Hasharon
(Narcisse de Saron, 1938)
Le Cantique des Cantiques, sublime poème d'amour, fut considéré par les sionistes comme un des symboles de la renaissance de la vie rurale biblique dans l'antique patrie des juifs. Il était donc naturel que ce monologue d'amour fut le premier poème hébraïque mis en musique par Ben-Haim. Son style germanique subit un changement extrême. Le riche chromatisme et la métrique régulière furent remplacés par un mode d'écriture diatonique, (montrant ainsi l'admiration qu'il éprouvait pour Debussy) et par une métrique changeante et irrégulière. On peut y trouver certaines erreurs relatives à l'accentuation de la syllabe, comme l'accent mis sur la deuxième syllabe du mot Hasharon, influencé par la prononciation hébraïque allemande de ce mot. Toutefois, ces erreurs sont amoindries parles modalités rythmiques d'une grande souplesse. L'Harmonie est enrichie par la sonorité de quintes et de tierces parallèles.

5 Hitragut, (Sérénité, berceuse sépharade 1939),
Poéme de Yehuda Kami
La rencontre de Ben-Haim avec la chanteuse yéménite Bracha Tsefira (1910-1990), au début de l'année 1939, eut une influence décisive sur ses créations à venir. Tsefira était une figure exceptionnelle de la vie musicale d'Israël. Sa mère mourut en la mettant au monde et elle perdit son père à l'age de trois ans. La jeune orpheline fut élevée pendant les années difficiles de la première guerre mondiale par des familles d'accueil démunies. Plus tard, on la mit dans un pensionnat où l'on découvrit sa voix merveilleuse. Très vite elle se mit à chanter des chants traditionnels orientaux qu'elle avait pu retenir grâce à son extraordinaire mémoire. On l'envoya dans une école d'art dramatique de Berlin où elle rencontra son premier mari, le pianiste Nahum Nardi qui improvisa l'accompagnement de ses chansons. Ils divorcèrent en 1939 et Tsefira prit la décision cruciale de faire connaître son répertoire aux compositeurs d'origine européenne immigrés en Palestine. Ben Haim l'accompagna au piano pendant quinze ans et réalisa l'arrangement musical de trente-cinq de ses chansons. Il aimait particulièrement les chants de la tradition judéo-espagnol en ladino. Le poète Yehudah Kami avait adapté le chant traditionnel Marna yo no tengo visto en berceuse intitulée Hittragut (Sérénité). Ben-Haim en prépara l'arrangement musical pour Tsefira en juin1939. L'émouvante mélodie se développe sur un mode phrygien, accompagnée par une interprétation délicate de Ben-Haim. Cette berceuse, ainsi que son adaptation instrumentale et chorale, devint très vite un des grands succès de Ben-Haim.

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Le Professeur Jehoash Hirshberg enseigne dans le Département de Musicologie de l'Université hébraïque de Jérusalem. Il est l'auteur de "La vie et l'oeuvre de Ben-Haim" (Israeli Music Publications Ltd), et de Music in the Jewish Community of Palestine 1880-1948, a social History, (Musique dans la communauté juive de Palestine, 1880 -1948: une histoire sociale), (Oxford University press, 1995).




Paul Ben-Haim

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